Professeure adjointe -Université de Laval (Canada)
Département de langues, linguistique et traduction
Concours Kamishibaï Plurilingue depuis 2018
Entretien réalisé par Delphine Leroy en visio conférence le 22 juin 2021 dans le cadre du projet Erasmus+ Kamilala
Le contexte
Au Québec, la seule langue officielle, c’est le français ! C’est l’unique province du Canada qui est dans cette situation. Nous sommes une minorité de francophones au Canada, mais une majorité de francophones au Québec. Cette situation n’a rien à voir avec l’Ontario voisin, par exemple, où une minorité est francophone et la majorité, anglophone.
Au Québec, à l’école, les élèves sont scolarisés en français, et l’anglais est enseigné comme langue seconde. Mais la situation du français reste complexe. Il y a une forme d’insécurité autour de cette langue. Beaucoup d’enseignants sont dans la crainte d’une précarisation de la langue française comme langue d’usage, notamment en raison de la situation géographique de la province. Le Québec est entouré de provinces anglophones et est très proche des États-Unis. De plus, les langues de l’immigration peuvent apparaître comme une menace. À mon avis, elles ne le sont pas du tout, mais elles peuvent le sembler pour certains. C’est comme si le Québec était le petit village d’Astérix, toujours dans la crainte de devoir « résister » pour que la langue française survive…
Au Québec, avec la Charte de la langue française, aussi appelée « loi 101 », les immigrants sont obligatoirement scolarisés en français, à quelques exceptions près. Cette loi représente un moment important de l’histoire de la langue française au Québec. À l’époque, les iniquités linguistiques étaient plus marquées, c’était plus fragile.
Le français perdure, notamment grâce à l’école qui contribue à son apprentissage systématique. Les écoles francophones constituent la vaste majorité des écoles québécoises. Pour beaucoup de (futurs) enseignants, l’enseignement du français langue seconde vise la promotion du « fait français » et la francisation des immigrants.
Les centres de services scolaires anglophones gèrent peu d’écoles : ici, ce n’est vraiment pas la norme. Dans les écoles anglophones, les cours de français langue seconde sont obligatoires dès le primaire, et pour obtenir le diplôme d’études secondaires, il faut réussir le cours de français, langue seconde.
Au Québec, on baigne dans un milieu multiculturel, multilingue par la présence de personnes issues de l’immigration. C’est une dimension qui m’habite, je pense. J’aime la région de Montréal, très pluriethnique, c’est le milieu dans lequel j’ai grandi et dans lequel j’ai été formée. Mon intérêt didactique pour la diversité linguistique est venu avec les études, mais au quotidien, cette diversité est présente plus largement dans les nouvelles, les enjeux liés à l’apprentissage du français, les manières de promouvoir un vivre-ensemble harmonieux. Plutôt qu’une problématique associée à l’apprentissage du français, j’aime mieux l’envisager comme un levier pour les apprentissages et pour valoriser l’ensemble des élèves.
Le concours
Ma rencontre avec les kamishibaïs est associée à mes études supérieures sous la direction de Françoise Armand, qui coordonne le projet Elodil (Éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique) à l’Université de Montréal. Plusieurs de ses (ex)étudiantes contribuent à ce projet. Dans ce cadre, mes collègues et moi avons été amenées à participer aux congrès Édilic (Éducation à la diversité linguistique et culturelle), où j’ai rencontré l’équipe de Dulala. L’idée de la naissance d’un concours international a été évoquée. Je me suis dit : pourquoi ne pas prendre ça sous mon aile, sous la bannière d’Elodil ?
C’est ainsi que ma collègue et amie Marie-Paule Lory – professeure à l’Université de Toronto – a décidé de prendre en charge l’édition ontarienne du concours et moi, de mon côté, l’édition québécoise. Le faire à deux a été, je pense, un vecteur de motivation. Nous avons, à partir des documents fournis par Dulala, établi les paramètres des concours canadiens en faisant vraiment des éditions distinctes pour l’Ontario et pour le Québec parce que les contextes francophones sont assez différents dans ces deux milieux.
Le concours est associé au projet Elodil, affilié à l’Université de Montréal et qui devient de plus en plus connu dans les écoles. C’était une manière de promouvoir le concours plus efficacement, en pleine cohérence avec le type d’approche défendue.
Au début, nous avons diffusé l’édition québécoise du Concours Kamishibaï Plurilingue sur le site de Dulala, sur le Facebook Elodil, sur le site Internet d’Elodil Ontario et à certains enseignants que je connaissais. La première année, une école entière a embarqué dans le projet, de sorte qu’on a reçu une dizaine de kamishibaïs d’une seule et même école. Une de mes collègues, chargée de cours à l’Université de Montréal, enseigne dans cette école. Elle a adhéré au projet et a également mobilisé d’autres enseignantes. C’était comme une porteuse de projet qui entraînait ses collègues dans l’aventure. C’est comme ça qu’on a vécu un succès à la première édition du concours.
Nous avons appris à mieux gérer le concours au fur et à mesure de sa première édition. On s’est rendu compte qu’il existait très peu d’outils opérationnels pour accompagner les enseignants (tels qu’un résumé des critères à respecter, comme le nombre de planches). De nombreux documents étaient épars, conditionnés à une forme d’autoappropriation, forcément aléatoire selon les personnes. Toutes n’avaient pas compris que le texte n’était pas au dos des mêmes planches, qu’il fallait respecter le thème et ne pas envoyer l’original, par exemple. On a reçu des kamishibaïs en pastel, c’est salissant ! Certains avaient perdu le thème de vue, mais tous avaient réalisé un kamishibaï. C’était déjà pour nous une victoire. La deuxième année, nous avons créé une liste à cocher pour aider les participants à se rappeler les idées clés à respecter.
J’ai ensuite réuni un jury avec des gens que je connaissais dans mon réseau de recherche et de pratique. Cette partie était vraiment agréable. Tout le monde a participé avec beaucoup d’enthousiasme et de générosité. Dès la première année, on a remis des prix : des albums de littérature jeunesse. Cette année, on a envoyé un butaï et un kamishibaï à nos deux classes gagnantes, pour les féliciter et dans l’espoir que ça les accroche pour la suite.
Les participants étaient moins nombreux cette année (2021), car les enseignantes de l’école qui avait participé activement aux premières éditions menaient avec nous un projet de recherche sur les kamishibaïs. Dans le cadre de cette recherche, on a créé le kamishibaï plurilingue « à saveur mathématique ». C’est un kamishibaï plurilingue « classique » qui intègre, en toile de fond, une situation de résolution de problème mathématique. L’expérimentation sera reconduite l’année prochaine pour mieux exploiter ce nouvel outil.
Le temps consacré au concours fait selon moi partie de mes « services à la collectivité » en tant que professeure à l’Université Laval. C’est important que le concours soit sous le chapeau d’une université, car cela donne de la visibilité aux approches plurilingues et cela légitime ce type de pratiques éducatives. Je n’ai hélas pas beaucoup de temps disponible, mais j’y tiens, c’est pour ça que je le fais.
Coordonner un concours, c’est une très belle expérience. Aujourd’hui, l’édition québécoise du concours est mieux rodée, donc c’est un peu moins de travail. Il faudrait toutefois trouver des moyens pour embaucher une personne supplémentaire pour m’aider, car je n’ai pas le temps de tout faire, notamment au moment de l’évaluation des productions par le jury. Travailler avec Dulala, en réseau, voir ce qu’il se passe ailleurs, cette synergie internationale est vraiment intéressante. C’est un beau dossier à porter. Pour les participants, l’idée de gagner un concours international est motivante. Il reste à imaginer avec quels moyens on peut le financer pour qu’il soit encore plus attrayant et valorisant pour les participants.
Bio
Je suis Québécoise de naissance, née de parents et de grands-parents Québécois francophones. Je suis allée dans des écoles francophones du primaire jusqu’à l’université.
Je n’ai aucune appartenance linguistique à l’anglais autrement que par son apprentissage scolaire comme langue seconde. Dans ma vie quotidienne, ce n’est pas une langue que j’utilise.
Au Québec, quand on parle d’enseigner le français, il y a quelque chose de politique, mais mon engagement est plutôt social. C’est vraiment avec la maîtrise que je me suis engagée dans la voie des approches plurilingues. J’ai compris comment on pouvait en faire un levier. Mon engagement social s’est affirmé durant mes études.
J’ai un diplôme en enseignement du français langue seconde, et j’ai tout de suite continué en maîtrise. Mon mémoire portait sur l’enseignement de l’écriture dans une perspective d’engagement dans l’écrit et au moyen d’approches plurilingues, dont des ateliers d’expression théâtrale plurilingues et la production de textes identitaires plurilingues.
Je trouvais que les kamishibaïs étaient en lien direct avec ces différents champs d’intérêt. Les initiatives de ce type sont récentes dans le milieu scolaire : je ne les ai pas vécues quand j’étais élève. Ce sont les études qui ont été une chance de réflexivité pour moi, parce qu’il est facile de se laisser emporter par tout ce qui est monolingue, mono-normatif. C’est très fort partout, je pense.
Après ma thèse, qui portait sur des approches plurilingues pour enseigner l’orthographe grammaticale et qui a été réalisée en cotutelle à l’Université de Montréal et à l’Université Grenoble Alpes, j’ai obtenu un poste à l’Université Laval (à Québec). Dans mon enseignement et dans mes recherches, je mets l’accent sur les élèves issus de l’immigration, mais je forme aussi les futurs enseignants de français qui se destinent aux écoles anglophones. Former et informer sur la manière dont on apprend une langue, sur le rôle des langues premières dans cet apprentissage met quotidiennement à l’honneur les approches plurilingues.
Le concours Kamishibaï plurilingue est une manière de semer une autre petite graine dans cette lignée. J’enseigne à de futurs enseignants qui, pendant 4 ans, vivent un stage chaque année. Le concours pourrait être un projet à mettre en place dans leurs stages. J’aimerais également planifier une séance de cours sur les kamishibaïs. Former des étudiants pourrait leur permettre de s’emparer du projet dans leurs futurs contextes d’enseignement.
Portrait mené dans le cadre de la production du livret intitulé “Guide pour toute structure éducative souhaitant mettre en place un Concours Kamishibaï plurilingue” mis à jour dans le cadre du projet Erasmus+ Kamilala.