Porteuse de projet, Portugal : Rosa Faneca

Enseignante-chercheuse
Université d’Aveiro (Portugal)
Département Éducation et Psychologie  

Concours Kamishibaï Plurilingue depuis 2018

Extrait de l’entretien réalisé avec Delphine Leroy le 14 février 2020 à Aoste dans le cadre du projet Erasmus+ Kamilala

Le contexte

Le Portugal a maintenant un nombre important d’étrangers, arrivés dans les années 90. Ce n’est plus seulement un pays d’émigration massive des années 60, c’est aussi un pays d’immigration. La formation des enseignant·e·s est très importante pour travailler ces questions de prise en compte des langues des familles.

Les enseignant·e·s au Portugal reconnaissent les langues d’origine, les valorisent mais après ils·elles sentent de grandes difficultés à les prendre en compte en termes pédagogiques. Quand on les questionne sur ce point ils/elles évoquent trois obstacles majeurs : l’inutilité de la langue d’origine dans le contexte scolaire au Portugal, le manque de politique linguistique dans le sens de la diversité, la non prise en compte de l’apprentissage de ces langues dans le curriculum. Pour elles et eux la nécessité, c’est le succès scolaire, académique des jeunes et donc il existe une grande réticence à travailler des langues d’origine qui ne sont pas reconnues. Et puis, la grande question revenait toujours, même au niveau de la formation continue : ” C’est très bien, vous, les universitaires, vous avez toujours de belles idées, mais vous ne connaissez pas le terrain alors que nous avons un programme à respecter. On ne peut pas s’amuser à inventer du travail hors du curriculum. Donc on ne va pas le faire. Et de toute façon, nous n’avons pas de matériel.”

Après ces retours nous avons compris la nécessité de trouver vraiment des éléments concrets au niveau de la formation. Il fallait les convaincre de la nécessité, de l’importance de la prise en compte des langues des familles, de la visibilité de ces langues ainsi que l’ouverture de l’école à ce qui est à l’extérieur.
Nous avons alors commencé à aller vers des congrès, comme Edilic. Et c’est ainsi que j’ai découvert l’association Dulala. Tout d’un coup, nous avons vu plus de matériel de terrain, de propositions concrètes pour les enseignants et je me suis dit : ”Voilà, ça c’est bien, c’est l’étape suivante.”

Le concours

« Il y a eu un changement au niveau politique scolaire au Portugal : l’autonomie et la flexibilité dans les écoles. Elles ont un nombre d’heures où elles peuvent prévoir un projet d’école ou un projet de classe en fonction de la région et de l’école, en dehors du programme national.
C’était donc un bon moment pour pouvoir le proposer dans les écoles. Au départ, je ne savais pas si ça allait fonctionner parce que c’était tout nouveau. 

Est-ce que les enseignants vont adhérer, ne vont pas adhérer ? Et finalement, je me suis rendue compte que ce n’était pas si difficile de vendre quelque chose auquel on croit. Je me suis beaucoup dédiée et cela a fonctionné. Au départ, je me suis déplacée dans tous les contextes je faisais une présentation du projet et animais un atelier kamishibaï dans chaque école. Comme je n’avais pas de Kamishibaï portugais, j’ai traduit 3 Kamishibaï français et mon premier Kamishibaï, c’était Nya-Nya je suis partie dans les écoles avec Nya-Nya traduit en portugais, et je racontais à toutes les classes de primaire. On me disait : « Kami, Kami, Kami quoi ? ça veut dire quoi ? » Il y a eu quand même un article dans le journal. J’ai eu une entrevue à la radio. C’est vrai j’ai un petit peu fait du marketing. Je partais voir les enseignants, les institutrices dans les écoles avec nos enseignantes de formation de master je partais toujours avec elles et je faisais une lecture et une présentation Kamishibaï. Je leur montrais que c’était une autre façon de raconter des histoires, une technique très ancienne qui n’avait pas besoin de grand-chose, juste une boite qu’on pouvait fabriquer avec des enfants. Et plein d’écoles ont commencé à fabriquer leurs butaïs, c’était très drôle parce que tout d’un coup dans les écoles avec lesquelles on travaille dans le département d’Aveiro -nous avons commencé par Aveiro- les enfants connaissaient tous le mot « Kamishibaï ». 

Tous les étés, l’Université d’Aveiro organise « a Academia de Verão »( Académie d’été) et le département où je travaille, donc éducation et psychologie, a proposé des activités pour les sixième/cinquième, je suis partie avec eux dans le parc, dans le jardin de l’université. On a mis des tissus par terre sur la pelouse et avec le butaï, on racontait des histoires. C’était très sympa parce que c’était quelque chose de complètement différent, de nouveau. Et c’est vrai que petit à petit, les enseignants ont vu qu’il y avait un potentiel. Et ça a commencé comme ça, donc une expérience vraiment réussie.

Au début, je me suis dit que j’allais commencer par la formation initiale avec les élèves de la deuxième année de master et le proposer en tant que projet de Recherche Action. Mes élèves de master partaient dans les écoles faire leur stage et leur projet pédagogique qui donnait ensuite lieu au mémoire portait sur le Kamisihibaï effectué avec l’institutrice ou avec les enseignants du collège et lycée.
Au bout de la première année, le bilan montrait que les futurs enseignants une fois sur le terrain allaient propager cette pratique. Finalement, les choses ont bien fonctionné dans les écoles. Les enseignants se sont dit :  » ah mais c’est génial et ça fonctionne hyper bien. » C’est un travail où l’enfant est super motivé parce que c’est personnel. Et puis, il y a autre chose qui est extraordinaire, c’est qu’il y a tous les apprentissages curriculaires qui sont présents dans ce travail, même si on joue puisque c’est travailler en jouant. »
Et les enseignants s’aperçoivent que les enfants progressent et qu’il y a de véritables apprentissages à tous niveaux, la langue maternelle, la langue de scolarisation, la musique, l’histoire, la géographie, etc. 

Bio 

Rosa est portugaise. A neuf ans, elle déménage en France et y effectue sa scolarité jusqu’au DEA. « J’ai commencé avec langue maternelle portugaise. Quand mes parents ont fui la guerre et que je suis partie en France, je ne parlais pas un mot de français. Les années 70 ont été très difficiles : nous étions immigrés et le Portugais avait une mauvaise représentation dans ces années en France. J’ai été obligée de me débrouiller, d’apprendre la langue grâce aussi à l’intercompréhension : avant d’apprendre le français, je suis passée par l’espagnol. J’avais un petit copain dans ma classe qui me traduisait le français, vers l’espagnol. Ce petit copain me disait : ”la maîtresse a dit que tu devais faire ça et ça. Demain tu dois apporter telle chose.” Afin de rentrer dans le français, avec le temps, j’ai occulté le portugais. J’ai dénigré le portugais parce que c’était une langue qui n’était pas connue, pas considérée. J’ai fait comme une sorte de déni : à un moment donné, j’ai cessé de parler portugais pour ne parler que français à la maison. Le français est alors devenu ma langue maternelle. J’avais oublié le portugais. C’est revenu beaucoup plus tard. Quand je suis rentrée à l’université. C’était là, mais je ne le parlais pas. Je comprenais mais c’est une fois ma vie professionnelle débutée que l’envie de parler, l’envie de redécouvrir la littérature, de revoir l’histoire est apparue. De lui donner une place valorisée. 

Sincèrement, je pense que ce n’est pas innocent, que je travaille ces questions-là aujourd’hui. Trouver un projet qui puisse rendre place aux langues et à leurs locuteurs et locutrices, pour moi c’est du bonheur. Je pense que j’ai peut-être une mission vis-à-vis de ces enfants. Pour ne pas les laisser dans des situations de souffrance. Souvent, quand il n’y a pas de visibilité des langues par l’autre, le déni s’installe et passe par des sentiments de souffrance. Je travaille ces questions, pas uniquement de manière pédagogique mais aussi du point de vue existentiel, de l’essence de l’être. C’est-à-dire que je m’intéresse à la question du respect et de la valorisation de la personne dans tout ce qui la constitue : sa culture et sa/ses langue(s). 

Petite fille, j’aurais voulu qu’on le fasse avec moi et d’une certaine manière, on l’a fait via ce petit copain qui m’a aidé avec l’intercompréhension. Il a été un dieu pour moi. Tout d’un coup j’ai pensé : « Ah quelqu’un qui me comprend et que je comprends ». J’arrivais à comprendre l’espagnol et c’était important. Parce que dans les années 70, il n’y avait pas de place pour les langues d’origine et la reconnaissance de celles et ceux qui les parlent. »

Je ne suis pas du tout issue de la formation premier cycle, c’est-à-dire maternelle et primaire. Je suis professeure de portugais dans le secondaire et puis de français langue étrangère. J’ai été enseignante pendant des années en collège et lycée. Après un DEA de didactique de français langue étrangère, j’ai basculé sur la formation d’adultes. Le public, était surtout orienté vers des nécessités linguistiques en vue d’obtenir un emploi. Travailler avec des réfugié·e·s m’a fait prendre contact avec la diversité linguistique et culturelle. La difficulté d’enseigner à des personnes qui ne comprenaient pas la langue, qui venaient de divers pays, divers continents, dans des langues proches, des langues distantes a modifié mon regard sur l’enseignement et l’accompagnement des personnes. Durant dix ans j’ai travaillé auprès d’adultes réfugiés et également dans la formation continue des bas niveaux de qualification, toujours pour les migrant·e·s.

Des raisons familiales ont motivé le choix de revenir vivre au Portugal. Je suis donc repartie au lycée, où de nouveau j’ai enseigné le français. Mais, après un parcours de quinze ans auprès d’adultes en formation, mon expérience au lycée n’a pas été des plus heureuses. J’ai alors entrepris d’effectuer un doctorat en didactique des langues. Je questionnais l’apprentissage des langues d’origine des immigrés et du portugais langue d’origine des émigrés. J’ai commencé à travailler sur l’immigration portugaise et comment l’école et les enseignants valorisaient les langues d’origine ou pas. Ce passage vers les langues d’origine m’a emmené de nouveau dans les écoles. Petit à petit, je me suis beaucoup intéressée à la diversité linguistique et culturelle.

Portrait mené dans le cadre de la production du livret intitulé “Guide pour toute structure éducative souhaitant mettre en place un Concours Kamishibaï plurilingue” mis à jour dans le cadre du projet Erasmus+ Kamilala.

Pour en savoir plus sur cette kaminauté, retrouvez la page du concours de Rosa Faneca au Portugal.

Pour découvrir les Kamishibaïs plurilingues lauréats du concours au Portugal, rendez-vous dans notre galerie.